Plusieurs locataires du Val-d’Oise et de Seine-Saint-Denis accusent le bailleur social de pratiques illégales : pots-de-vin, fabrication de faux, souscription de prêts locatifs en cachette... Une enquête est en cours.
Pots-de-vin contre appartement, souscription de prêts locatifs à l'insu des locataires, fabrication de faux documents, les accusations portées à l'encontre de l'Immobilière du Moulin Vert sont nombreuses. Nous avons rencontré plusieurs locataires de ce bailleur social - dont le patrimoine est de 9 000 appartements dans toute l'île-de-France - qui habitent à Cergy (Val-d'Oise) et à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). Ils dénoncent un système illégal qui aurait été mis en place.
Laurent*, un ancien employé du Moulin Vert, appuie les dires des locataires. Il évoque l'existence de faux documents dans les dossiers d'attribution et d'enveloppes en liquide en échange d'un logement. Il dit avoir lancé l'alerte auprès de ses supérieurs hiérarchiques dès 2016, voyant que l'affaire était sur le point « d'exploser ».
Un ancien employé témoigne
« Quand j'ai dit à la direction qu'il fallait absolument porter plainte pour la dédouaner, on m'a répondu qu'on gérait l'affaire et qu'il ne fallait surtout pas que ça s'ébruite, rapporte Laurent. On m'a fait comprendre que ça ne me regardait pas. »
Malgré tout, il reste persuadé que la direction n'est pas impliquée dans l'escroquerie. Il ajoute cependant : « pour des raisons que je ne m'explique pas, elle est responsable de la situation et de l'ampleur que cela a pris en voulant étouffer l'affaire. »
ELYAMINE DEBORDE PAR LES IMPAYES A CAUSE DE SON FAUX DOSSIER
Elyamine souffle enfin. Cet habitant d'une cité HLM à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis) vient de se voir attribuer un nouveau logement à Conflans-Sainte-Honorine (Yvelines). Cela fait trois ans qu'il le réclamait à son bailleur, l'Immobilière du Moulin Vert. « Je n'arrive pas à payer mon loyer, c'est trop cher », justifie le coiffeur de 48 ans. Avec des revenus oscillants entre 600 et 1 000 €, et un loyer à 847 €, impossible de tenir le cap.
Pourtant dans son dossier d'attribution, ses fiches de paie affichent 2 762 € nets, pour un poste de « chef de travaux en installation électrique ». Ce qui explique qu'il ait pu obtenir le T2 d'Aubervlliers, bien au-dessus de ses moyens. Les faits remontent à 2015.
« A l'époque, je dormais dans ma voiture... »
« A l'époque je dormais dans ma voiture, je gagnais 300 € par mois, se souvient le locataire. Un jour un client m'a fait rencontrer quelqu'un du Moulin Vert. Il m'a dit qu'il allait s'occuper de tout. J'ai payé 3 500 € en liquide pour mon dossier. Dedans, il y avait des déclarations d'impôts, des certificats de travail et des fiches de paie à 2 700 €. Des faux. Je l'ai présenté à la chargée de clientèle et un mois plus tard on m'a donné les clés. Je n'avais même pas fait de visite avant. »
Au fil des mois, le coiffeur a de plus en plus de mal à joindre les deux bouts. Il tombe progressivement dans la dépression et se renferme sur lui-même. Jusqu'à un jour de décembre 2015 où il reçoit un courrier du service gestion des aides Loca-Pass. L'entreprise s'est portée caution pour rembourser les impayés d'Elyamine au Moulin Vert. « En tout sur la période 2015-2016, on a payé pour 7 500 € d'impayés, nous confirme le chargé de recouvrement. Une procédure est en cours car le locataire ne rembourse pas. »
« Je croyais devoir encore plus d'argent sans savoir d'où ça venait… »
Et pour cause : Elyamine n'a jamais entendu parler de Loca-Pass. Il nie avoir signé toute demande de souscription et n'avait même pas compris la teneur des lettres reçues venant du service gestion. « Je croyais devoir encore plus d'argent sans savoir d'où ça venait, s'inquiète-t-il encore. Mais je ne leur ai jamais rien demandé… Je suis stressé, mon cœur me fait mal, je ne sais pas quoi faire ! »
Immobilière du Moulin Vert: l’enquête pour escroquerie suit son cours
Elle est menée par la police judiciaire de Cergy après le dépôt de plainte d’une locataire de Cergy. Depuis, cette dernière a poursuivi ses investigations.
Dévoilée dans nos colonnes en septembre 2017, l'affaire avait débouché sur une plainte pour « escroquerie en bande organisée » déposée contre l'Immobilière du Moulin Vert. À l'époque, il n'était question que de pots-de-vin versés en argent liquide, allant de 2 000 à 6 000 €, en échange de l'obtention d'appartements dans la résidence François Villon à Cergy. Depuis, les services de la police judiciaire nous confirment être à pied d'œuvre et mener les investigations. Fatiha est l'une des locataires à l'initiative de cette procédure.
« Au début tout est parti d'un gardien, se souvient cette mère de famille. Il me menaçait et s'en était pris à mes enfants. J'ai demandé sa tête au Moulin Vert mais ils n'ont pas voulu me la donner. Comme je savais qu'il y avait une histoire de pots-de-vin, je m'en suis servie. » En dénonçant ces pratiques suspectes à la presse, Fatiha a enclenché la machine.
Une plainte déposée contre un gardien et une chargée de clientèle
De son côté, le bailleur social assure avoir pris connaissance des événements en 2016, rapportés par plusieurs familles. Il a déposé plainte l'année suivante contre un gardien et une chargée de clientèle.
Mais la locataire Cergyssoise n'en est pas restée là. Elle a depuis elle-même mené l'enquête dans les immeubles du Moulin Vert à Aubervilliers (Seine-Saint-Denis). C'est là qu'elle entend parler des faux dossiers achetés par certaines personnes, des impayés et des procédures d'expulsion à répétition.
« Pour moi, ils profitent de la misère des gens, accuse Fatiha. Ils vont chercher des profils vulnérables, des gens qui parlent mal le français, qui feraient tout pour avoir un logement et qui n'y connaissent pas grand-chose en procédures. »
Elle justifie même cette hypothèse par le fait que « leurs logements ne sont pas louables car trop chers et mal conçus ». Pour le justifier, des annonces de ces logements sociaux sont retrouvées sur Leboncoin ou sur des sites d'agences immobilières privées. Il est rare de voir fleurir ce genre d'annonces alors que dans le parc social, les logements ne sont qu'exceptionnellement vacants. Lorsque les locataires endettés de ces logements en savent trop, « le bailleur les reloge pour les faire taire », martèle la Cergyssoise.
Des accusations réfutées par l'organisme. « Nous avons relogé certaines personnes, victimes des faits délictueux, justifie le Moulin Vert. Nous pouvons le faire également quand l'échange de logement permet au locataire de payer un loyer moins élevé. La dette de l'ancien logement n'est pas effacée mais fait l'objet d'un plan d'apurement. »