C’est la fin du sursis pour des milliers de foyers modestes menacés d’expulsion. La trêve hivernale, qui avait été prolongée de plus de trois mois avec la crise du Covid-19, a pris fin samedi, en même temps que l’état d’urgence sanitaire. Plusieurs organisations syndicales et associations, dont le Droit au logement (DAL) ont manifesté samedi à Paris pour réclamer sa prolongation, et «une année blanche des expulsions». Une demande également formulée par l’adjoint communiste à la maire de Paris en charge du Logement, Ian Brossat, auprès du ministère du Logement. Jean-Baptiste Eyraud, porte-parole du DAL, redoute des remises à la rue sans solution de logement.

Pourquoi réclamez-vous la prolongation de la trêve hivernale ?

Notre priorité, c’est surtout quil n’y ait pas de reprise des expulsions, pour que les gens ne se retrouvent pas dans la rue. Cela doit aller de pair avec la mise en place d’un système de relogement. 95% des expulsions sont dues au retard de loyer. Avec le Covid, plein de gens ont perdu leur boulot, se retrouvent dans des situations encore plus précaires, et risquent d’être confrontés d’ici quelques semaines à des jugements d’expulsion. Au-delà de la question sociale, il y a aussi un enjeu sanitaire : le virus est toujours en circulation et nous ne sommes pas à l’abri d’un reconfinement. Il y a un vrai danger de mettre les gens dans la rue. Avec le DAL, nous sommes intervenus à plusieurs reprises pendant le confinement auprès du 115 et de la préfecture pour bloquer les remises à la rue.

Pourquoi craignez-vous une forte hausse des expulsions dès cet été ?

Il y a déjà une hausse constante des expulsions ces trente dernières années en France. Et l’été est une période favorable, avec l’absence de trêve. En 2018 [les derniers chiffres disponibles, ndlr], près de 16 000 expulsions forcées ont eu lieu, ce qui représente une hausse de 169% depuis 2000. On constate que les gens ont moins de solutions pour se reloger : ils sont de plus en plus nombreux à rester jusqu’au bout de la procédure, ils attendent que les forces de l’ordre interviennent à leur domicile pour le quitter. Les plus touchés sont les locataires modestes avec des bas revenus. Des gens qui font du nettoyage, travaillent dans les Ehpad…. On a aussi les autoentrepreneurs qui sont soumis à des revenus irréguliers, mais aussi des jeunes, des familles, des personnes âgées… Quand on voit le campement d’une centaine de mineurs étrangers isolés, installé depuis quelques jours dans un square du XIe arrondissement de Paris, c’est terrible. Il risque d’y avoir d’autres campements de ce type dès cet été.

Vous demandez aux maires de prendre des «arrêtés anti-expulsions». La solution doit-elle venir des municipalités ?

La pression que peut exercer chaque maire est importante. Il faudrait que les maires montent au front pour prendre des arrêtés anti-expulsions. C’est un combat de gauche. Les municipalités doivent faire respecter les lois qui protègent les locataires, comme l’encadrement des loyers. La crise du logement est la conséquence directe de la cherté du logement. Les prix immobiliers ne cessent d’augmenter. Les maires doivent prendre des mesures.

La semaine dernière, la nouvelle ministre déléguée au Logement, Emmanuelle Wargon, s’est dite contre l’arrêt des expulsions, mais a mis en avant d’autres mesures, comme l’absence de recours aux forces de l’ordre en l’absence de solution de mise à l’abri. Cela est-il suffisant selon vous ?

Chaque jour qui passe, la ministre recule. Entre la circulaire du 2 juillet [dans laquelle le gouvernement affirme l’objectif de «prévenir toute remise à la rue sans solution»] et les derniers propos de la nouvelle ministre déléguée, on baisse à la fois en qualité et en efficacité. Il ne faut pas oublier que la mise à l’abri se résume souvent à quelques jours d’hôtel. Cela ne garantit pas que les gens retrouvent un logement. La vie dans la rue, c’est la mort, une mort cruelle. C’est quinze ans d’espérance de vie, un âge moyen de décès de 49 ans… Normalement, ces personnes devraient être relogées ou prisent en charge. La loi le prévoit, mais elle n’a jamais été respectée. Nous, on encourage les locataires à se défendre et à exiger d’être relogés.

Zidane Azzouzi