La saga Paris Habitat n’en finit pas. Epinglé fin janvier par le Parisien pour les généreuses rémunérations de ses dirigeants – et le parachute doré de 500 000 € accordé à Stéphane Dambrine, son directeur général, qui émarge déjà à 14 000 € par mois, avec voiture de fonction et chauffeur –, le premier bailleur social d’Ile-de-France a du souci à se faire. Sa façade de respectabilité risque encore de se lézarder au vu des documents et témoignages recueillis par Marianne. Voire, carrément, de s’écrouler. A croire que, depuis Jacques Chirac et la tentaculaire affaire des HLM de la Ville de Paris, le bien nommé Opac – devenu, en 2008, Paris Habitat – se complaît dans l’occulte.
Système de double facturation
L’histoire concerne, cette fois, la régie de Paris Habitat, située rue de Santeuil, dans le Ve arrondissement. Derrière les murs blancs de ce bâtiment d’un étage, mi-entrepôt, mi-atelier, d’où partent chaque matin les ouvriers chargés d’entretenir et rénover le parc de logements sociaux, on s’est longtemps adonné à un curieux micmac. Selon nos informations, l’un des chefs d’atelier, qui a quitté l’office HLM en juin 2015, avait mis au point un système de double facturation qui lui permettait de puiser abondamment dans les fournitures et la main-d’œuvre de Paris Habitat. Au cours de l’été 2014, la réfection d’un appartement de deux pièces situé au 49 ter de l’avenue de Flandre, dans le XIXe arrondissement, a été facturée plus de 48 000 €, alors que le coût des travaux réels se montait à 9 262 €. Cinq fois plus cher ! Comment la réhabilitation d’un deux pièces a-t-elle pu atteindre un tel montant sans éveiller le moindre soupçon à la direction de la régie ?
Sur le papier, la procédure semble pourtant carrée. Lorsqu’un logement de Paris Habitat devenu vacant nécessite une remise en état, ce sont les 200 salariés de la régie – menuisiers, électriciens, plombiers, peintres… – qui s’en occupent. Une fois la demande transmise par l’une des cinq directions territoriales qui gèrent les 111 000 logements parisiens, un contremaître de la régie engage des « bons de travaux », pour un prix raisonnable. Dans la cuisine du deux pièces de l’avenue de Flandre, la dépose du papier peint ainsi que la peinture des murs, du plafond et des boiseries ont représenté, par exemple, une journée et demie de travail (11,25 heures) effectuée par un seul ouvrier, et 264 € de fournitures (toile de verre, colle pour toile, impression à l’eau, enduits, masques, lessives), soit un total de 849 €. C’est ce qu’atteste le bon de travaux émis en mai 2014. Rien à redire ici. Sauf qu’un deuxième bon puis un troisième, concernant la même cuisine du même appartement, mais édités le 23 juillet, aboutissent, au total, à la somme faramineuse de 14 120 € !
Une somme destinée aux travaux d'un autre appartement... privé
Deux documents qui ne portent pas la signature informatique du contremaître mais celle de son supérieur, le chef d’atelier. Pour le coup, la dépose du papier peint, la peinture des murs, du plafond et des boiseries, c’est-à-dire les mêmes travaux, avec en plus la pose au sol de dalles en PVC, auraient nécessité quatre ouvriers, 260 heures de boulot et 600 € de fournitures… A ce prix-là, ce n’est plus une kitchenette qu’il s’agissait de retaper, mais les cuisines d’un palace ! Tout l’appartement a été passé à la même moulinette. En additionnant les bons de travaux bidon, on constate que la remise en état de ce T2 aurait occupé huit ouvriers pendant 852 heures (l’équivalent de trois semaines à temps plein par tête de pipe !) et aurait coûté 4 382 € de matériels en tout genre. Pour gonfler la note, le chef d’atelier a même ajouté la peinture d’une mystérieuse troisième pièce, pour un montant de 7 372 €. N’en jetez plus !
Les 48 000 € dépensés par Paris Habitat dans cette opération n’ont pas été perdus pour tout le monde, car des travaux, couvrant tout ou partie de cette somme, ont bien été réalisés. Pas avenue de Flandre, mais à une autre adresse… Bon camarade, le chef d’atelier aurait envoyé ses ouvriers restaurer le logement – privé – d’une collaboratrice de Christian Grimaud, le patron de la régie de Paris Habitat. Un bel appartement, double séjour avec moulures, situé dans l’est de la capitale. Plusieurs témoignages internes recueillis par Marianne confirment l’entourloupe. Contacté, Christian Grimaud n’a pas souhaité nous répondre dans un premier temps, avant de se raviser et de nous recevoir.
« Il s’est passé quelque chose d’anormal sur ce chantier, avenue de Flandre, c’est évident, reconnaît-il. Le volume des matériaux utilisés, comme le décompte horaire des ouvriers, est aberrant. Je n’exclus pas qu’un ou plusieurs salariés aient abusé de la confiance qu’on mettait en eux. Quant au fait qu’ils ont pu travailler ailleurs, je n’ai pas eu vent de cette histoire. Je vais bien évidemment enquêter de mon côté. » A dire vrai, Christian Grimaud ne semble pas avoir eu vent de grand-chose avant que Marianne ne l’interroge. Sur le T2 de l’avenue de Flandre comme sur les autres appartements. Car il y en a eu d’autres…