Tentes lacérées, couvertures jetées, téléphones saisis, papiers administratifs confisqués : dans son rapport annuel publié ce lundi soir, l’Observatoire des expulsions des lieux de vie informels, qui réunit notamment la Fondation Abbé-Pierre, Médecins du Monde et le collectif Romeurope, alerte, entre autres, sur le sort réservé aux biens des personnes boutées hors de leur squat, bidonville ou campement. «A Grande-Synthe ou Calais, il y a toujours une équipe de nettoyage avec le convoi policier», explique-t-on chez Human Rights Observers (HRO). Une fois les personnes expulsées, leurs biens sont saisis et souvent envoyés à la déchetterie, ou détruits sur place, au couteau. «Quand on prend les affaires des gens et qu’ils ne peuvent pas les récupérer, c’est du vol», souffle-t-on chez HRO.

Avec 964 expulsions entre le 1er novembre 2019 et le 31 octobre 2020, les deux villes du Calaisis, où se massent les migrants en attente d’une traversée pour le Royaume-Uni, concentrent 88% des expulsions de lieux de vie informels recensées en France métropolitaine par l’Observatoire. Un chiffre à prendre avec des pincettes, les associations n’ayant pas connaissance de la totalité des expulsions dans le pays et se montrant plus actives sur certains territoires, notamment le Nord et le Pas-de-Calais, mais aussi en Ile-de-France.

 
 

«A Paris depuis 2015 et maintenant en banlieue, des dizaines milliers de tentes et de couvertures ont été jetées. Et pas seulement lors des expulsions, c’est au quotidien», assure Clarisse Bouthier, bénévole au collectif Solidarité migrants Wilson. L’évacuation du campement Wilson, à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) en novembre 2019, l’a spécialement marquée : «Des bénévoles sont arrivés dès 4 heures du matin pour récupérer toutes les tentes, les démonter, les plier. On avait des camionnettes pour pouvoir les emmener. Les forces de l’ordre nous ont laissé faire puis nous ont empêché de les prendre et ont tout jeté sous notre nez. Il y avait mille tentes.»

«Ils perdent tous leurs droits»

L’Observatoire note que certains lieux de vie informels ont été expulsés «des centaines de fois au cours de cette année». «C’est pire que du harcèlement, c’est vouloir tuer les gens à petit feu», dénonce Jean-Claude Lenoir, bénévole à l’association Salam, basée à Calais, qui regrette que les choses se répètent inlassablement «depuis vingt ans». «Ces gens n’ont rien, pas de vie devant, pas de vie derrière. La seule couverture qu’ils possèdent, c’est leur objet le plus cher», assure-t-il.

Plus grave : documents d’identité, papiers administratifs ou ordonnances médicales y passent parfois aussi. Le code des procédures civiles d’exécution indique pourtant que «papiers et documents de nature personnelle» doivent être «placés sous enveloppe scellée et conservés pendant deux ans par l’huissier de justice». «C’est une catastrophe, les gens perdent les preuves de ce qu’ils ont vécu au pays, de leur trajet. Ils perdent tout leur dossier et tous leurs droits», dénonce Clarisse Bouthier.

 

A Calais existe bien un lieu dédié aux effets personnels des personnes évacuées, appelé la ressourcerie, auquel les bénévoles ont accès. Mais les acteurs de terrain s’accordent à dire que son utilité est nulle ou quasi-nulle. «Dans les faits, ça ne fonctionne pas. Les gens ne retrouvent pas leurs affaires, ou elles sont détruites. Par exemple, ils peuvent récupérer leur tente mais les arceaux sont cassés, le tissu déchiré», raconte-t-on chez Human Rights Observers.

Expulsions pendant le confinement

Fait notable, durant l’année étudiée par l’Observatoire, le nombre d’expulsions de lieux de vie informels n’a que faiblement baissé par rapport à l’année précédente, passant de 1 159 à 1 079. Or le rapport couvre sept mois d’urgence sanitaire, un confinement, une trêve hivernale. «Ça nous interroge beaucoup. Comment une telle politique peut être menée dans une période sanitaire compliquée ?» interroge Florian Huygues, spécialiste des bidonvilles à la Fondation Abbé-Pierre. Rien que pendant le confinement, 182 expulsions ont eu lieu, majoritairement à Calais.

Sur l’ensemble de l’année étudiée, 87% des expulsions n’ont fait l’objet d’aucune solution de relogement, signant pour beaucoup un retour à la rue. «On peut se demander à quoi servent ces expulsions s’il n’y a pas de solutions pour ces personnes», note Florian Huygues.

Elsa Maudet